Publié le 16 Novembre 2012

La loi belge sur la protection des données à caractère personnel et l’anonymisation des archives de presse en ligne

Statuant comme en référé (c’est-à-dire au fond mais selon une procédure accélérée), le président du tribunal de première instance de Bruxelles a considéré, dans un jugement rendu le 9 octobre 2012, que la loi sur la protection des données à caractère personnel ne pouvait imposer aux sites de presse en ligne d’anonymiser leurs archives publiques.

En l’espèce, le demandeur, visé par d’anciens articles de presse faisant référence à son passé judiciaire, invoquait le droit à l’oubli pour exiger (notamment) le retrait de ses nom et prénom des archives numériques librement accessibles sur l’internet.

Si les sociétés de presse (les éditeurs du Soir, de La Libre Belgique et La Dernière Heure/Les Sports) ont tenté de contester la recevabilité de l’action en invoquant la responsabilité des moteurs de recherche – en particulier celle de Google – le juge a considéré que la diffusion des archives de presse sur les sites Web des éditeurs était bien constitutive d’un traitement de données au sens de la loi sur la protection des données (à propos de l’applicabilité de la législation sur la protection des données à l’activité d’un moteur de recherche, voy. l’affaire Google Spain portée devant la Cour de Justice de l’Union européenne, C-131/12).

Le juge a cependant refusé de faire droit à la demande d’anonymisation au motif que les traitements de données à caractère personnel effectués aux seuls fins de journalisme se trouvent exemptés de différentes obligations prévues par la législation (notamment de celles qui mettent en place une obligation d’information des personnes concernées, ainsi que celles qui leur confèrent un droit d’accès, de rectification et d'effacement). Ce régime de faveur résulte de la transposition en droit belge d’une disposition de la directive européenne 95/46/CE sur la protection des données à caractère personnel.

Le demandeur faisait valoir que le journalisme se résumait au fait « d’informer le public des faits de l’actualité ». Les sociétés éditrices, quant à elles, entendaient inclure les archives de presse en ligne dans le régime dérogatoire prévu par la loi belge. Il y a quelques années, la Cour de Justice de l’Union européenne avait considéré qu’une activité peut être considéré comme une activité de journalisme au sens de la directive si elle a pour seule finalité « la divulgation au public d’informations, d’opinions et d’idées, sous quelque moyen de transmission que ce soit » (Cour de Justice de l’Union européenne, gde. ch., arrêt Tietosuojavaltuutettu c. Satakunnan Markkinapörssi Oy, Satamedia Oy, n° C-73/07, 16 décembre 2008, § 61), sans faire aucunement allusion à l’actualité des renseignements diffusés.

La Cour européenne des droits de l’homme avait également reconnu que « la fonction accessoire que [la presse] remplit en constituant des archives à partir d’informations déjà publiées et en les mettant à disposition du public n’est pas dénuée de valeur » (Cour eur. D.H., 4e sect., arrêt Times Newspapers Limited (nos 1 et 2) c. Royaume-Uni, 10 mars 2009, § 45). Dans le même arrêt, la Cour de Strasbourg avait toutefois reconnu une marge d’appréciation plus grande aux Etats s’agissant d’informations portant sur des événements passés plutôt que sur des événements actuels (ibid., même paragraphe), ce que ne relève pas la décision commentée.

Le président du tribunal de première instance de Bruxelles a considéré que c’était à bon droit que les défenderesses faisaient valoir que « leurs archives constituent l’essence même de l’information, que l’archivage est indispensable au travail journalistique en tant que source permanente et que son libre accès contribue au débat public » et dès lors que l’exception bénéficiant aux « seules fins de journalisme » devait s’appliquer.

Enfin, le juge a alors rejeté l’argument du demandeur selon lequel cette exception était limitée pour une certaine période de temps, au-delà de laquelle les données ne pourraient plus être diffusées que de façon anonyme.

Bien que le « droit à l’oubli » ait été mentionné au fondement de la demande, la question est rapidement survolée par le juge. Une lecture attentive de la loi sur la protection des données laisse cependant apparaître que cette dernière laisse assez d’espace pour permettre une balance entre la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée, notamment en raison du caractère relatif de l’exception bénéficiant aux fins de journalisme, laquelle n’exonère pas le journaliste du respect des conditions générales de licéité du traitement (notamment, le respect d’un principe de proportionnalité).

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Rédigé par Elise Defreyne et Quentin Van Enis

Publié dans #News

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