Publié le 5 Mai 2014

Même accompagné d’un point d’interrogation et d’un article plus nuancé, un titre peut se révéler diffamatoire...

Dans un récent arrêt Salumaki c. Finlande, rendu à l’unanimité, la Cour européenne des droits de l’homme n’a aperçu aucune contrariété à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (liberté d’expression) dans la condamnation d’une journaliste du chef de diffamation pour avoir insinué dans le titre d’un article de presse qu'un homme d'affaires finlandais (K.U.) était lié à un meurtre.

Le titre de l’article se lisait comme suit : « La victime de l’homicide de Vantaa avait des liens avec K.U. ? » (« The victim of the Vantaa homicide had connections with K.U.? »).

L’ingérence litigieuse étant clairement prévue par la loi et dirigée vers la protection de la réputation et des droits d’autrui (§§ 40 et 41 de l’arrêt), l’appréciation de la Cour de Strasbourg s’est donc concentrée sur la nécessité dans une société démocratique de la sanction prononcée à l’égard de la journaliste.

Le cœur du raisonnement de la Cour est contenu au § 57 de l’arrêt. Se ralliant à l’appréciation des juridictions nationales, la haute juridiction européenne ne s’est pas montrée convaincue par l’argument de la formulation du titre sous une forme apparemment interrogative, dans la mesure où ce dernier donnait l’impression aux yeux d’un lecteur moyen (voy. le § 59 de l’arrêt), que la personne visée se trouvait impliquée dans le meurtre. Le fait que l’allégation exprimée dans le titre se trouvait nuancée dans l’article qui l’accompagnait (par l’utilisation du conditionnel : « the victim of the homicide might have had such connections ») n’était pas davantage concluant dès lors qu’une telle nuance se trouvait perdue dans le corps du texte. En outre, la mention explicite faite par la journaliste de l’exclusion de tout lien entre l'homme d'affaires désigné dans le titre et le suspect de l’homicide n’était pas de nature à contredire l’analyse dès lors que cette information n’apparaissait qu’à la toute fin de l’article.

La Cour européenne considère, dans l’arrêt Salumaki, que la prise en compte, sur le terrain des devoirs et responsabilités inhérents à la liberté d’expression, du droit à la présomption d’innocence consacré par l’article 6, § 2, de la Convention n’est pas limitée à la formulation d’allégations de culpabilité mais s’applique également aux insinuations, telles que celle en cause dans l’espèce (§ 58).

Or, la Cour relève que la journaliste est resté en défaut d’apporter le moindre élément de preuve pour soutenir l’insinuation résultant du titre de l’article (§ 59).

Attentive à la mise en balance effectuée par les juridictions internes entre la liberté d’expression et la protection de la vie privée (§ 60) - qui comprend la protection de la réputation - et relevant le caractère proportionnée de la sanction prononcée, compte tenu du montant modéré de l'amende et des dommages et intérêts et de l’absence d’inscription de la condamnation au casier judiciaire de la journaliste (§ 61), la Cour conclut à l’absence de violation de l'article 10.

Le raisonnement de la Cour de Strasbourg peut être rapproché de la position adoptée par une majorité de membres du Conseil de déontologie journalistique (CDJ)* dans un avis rendu il y a quelques jours dans l’affaire CDJ et AJP c. SudPresse à l'égard de la manchette de la Une du journal.

* Deux membres ont exprimé une opinion minoritaire, qui se trouve jointe à l’avis du CDJ.

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Rédigé par Quentin Van Enis

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