Publié le 15 Octobre 2013

La Cour européenne se prononce sur la responsabilité d'un portail d'informations à raison des commentaires postés par les internautes

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme vient s’enrichir d’un nouvel arrêt sur le terrain des nouvelles technologies.

Dans un récent arrêt Delfi AS c. Estonie, la Cour de Strasbourg a considéré que la sanction civile (dommages et intérêts) imposée à un portail d’informations en raison de la publication de commentaires injurieux d’internautes ne violait pas son droit à la liberté d’expression.

En l’espèce, le site Delfi AS avait fait paraître un article dans lequel était mise en cause une société d’exploitation de ferries accusée d’avoir rompu des routes de glace (à savoir des routes ouvertes aux voitures en hiver dans les pays nordiques). Si l’article était en soi irréprochable, certains commentaires qu’il avait suscités de la part d’internautes l’étaient moins. De nombreux commentaires publiés versaient dans l’insulte voire dans la menace. Condamnée par les juridictions estoniennes à réparer l’atteinte à la réputation subie par la victime en raison de ces commentaires, la société gestionnaire du portail avait tenté en vain de se prévaloir d’un prétendu statut d’hébergeur pour s’exonérer de sa responsabilité. En vertu de la directive de l’Union européenne sur le commerce électronique, l’hébergeur profite d’une exonération conditionnelle de responsabilité lorsqu’il se borne à mettre passivement à disposition de tiers un espace de stockage. Or, en l’espèce, les juges nationaux avaient considéré que le portail ne pouvait être considéré comme un hébergeur neutre, automatique et passif (voir à ce sujet, l'arrêt Google rendu par la Cour de Justice de l'Union européenne, spéc. au § 113) dès lors que les internautes étaient incités à publier leurs commentaires sous les articles du portail. En conséquence, la société gestionnaire du portail avait dû répondre d’une responsabilité éditoriale de droit commun à raison des commentaires publiés par les internautes.

La Cour de Strasbourg a donc été amenée par la société gestionnaire du portail à vérifier si sa condamnation n’avait pas porté atteinte à son droit à la liberté d’expression (article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme).

Devant la Cour européenne, la société requérante prétendait que l’ingérence ne reposait pas sur une base légale prévisible dans la mesure où la loi nationale transposant la directive sur le commerce électronique semblait lui offrir une exonération de responsabilité. La Cour opposa à cet argument son refus de revenir sur l’interprétation faite par les juridictions internes des conditions de l’exonération de l’hébergeur. Ce faisant, elle a aussi judicieusement évité d’entrer sur le terrain dévolu à la Cour de Justice de l’Union européenne, chargée d’interpréter le droit de l’Union et notamment la directive sur le commerce électronique. La Cour de Strasbourg a considéré que l’ingérence pouvait se fonder sur le droit commun de la responsabilité éditoriale, lequel ne pouvait être méconnu de professionnels de la communication.

Aux yeux des juges strasbourgeois, l’ingérence poursuivait indubitablement le but légitime de la protection de la réputation d’autrui (la société d’exploitation de ferries et son propriétaire).

Enfin, d’après la Cour, la condamnation de la société requérante apparaissait « nécessaire dans une société démocratique ». Selon la Cour, la société gestionnaire du portail aurait dû redoubler de prudence compte tenu du sujet traité par l’article du presse et du nombre important de commentaires qu’il avait entraîné. Les mesures mises en œuvre par la société pour limiter les risques d’atteinte à la réputation d’autrui n’apparaissaient pas suffisantes (les commentaires étaient modérés a posteriori avec une possibilité de signalement et un filtrage par mots-clés). Le portail autorisait les internautes à poster des commentaires sans devoir s’identifier au préalable, ce qui rendait illusoires d’éventuelles actions civiles dirigées contre les internautes, auteurs directs des propos litigieux. Enfin, la sanction civile encourue par la société (équivalente à 320 euros) était assez modique et ne pouvait passer comme disproportionnée. Dès lors, la Cour a refusé de voir une violation de l’article 10 dans la condamnation de la société gestionnaire du portail Internet.

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Rédigé par Quentin Van Enis

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