Publié le 7 Août 2013

La Cour européenne se penche une nouvelle fois sur les archives Internet d'un journal

Dans un arrêt Wegrzynowski et Smolczewski c. Pologne rendu le 16 juillet dernier, la Cour européenne était une nouvelle fois amenée à se prononcer sur la question des archives numériques de la presse, quatre ans après son premier arrêt en la matière rendu dans l'affaire Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni.

Dans le cas d'espèce, deux avocats qui s'estimaient lésés dans leur réputation invoquaient l'article 8 de la Convention (dans l'affaire Times Newspapers, la requête était fondée par le journal sur l'article 10 de la Convention consacrant la liberté d'expression) pour se plaindre, sur le terrain des obligations positives, d'un défaut de protection de l'Etat polonais dont les juridictions nationales avaient refusé de faire droit à leur demande de retirer un article diffamatoire des archives Internet du journal Rzeczpospolita. Le caractère diffamatoire du propos avait été reconnu dans un jugement antérieur mais qui, curieusement, n'avait porté que sur la version papier des articles, à défaut pour les avocats d'avoir sollicité la moindre mesure s'agissant de la version numérique desdits articles.

Dans ce nouvel arrêt, la Cour rappelle la jurisprudence établie dans son arrêt Times Newspapers voulant que les archives numériques relèvent bien du champ d'application de l'article 10 de la Convention. Dans ce dernier arrêt la Cour avait souligné que :"grâce à leur accessibilité ainsi qu'à leur capacité à conserver et à diffuser de grandes quantités de données, les sites Internet contribuent grandement à améliorer l'accès du public à l'actualité et, de manière générale, à faciliter la communication de l'information. La constitution d'archives sur Internet représentant un aspect essentiel du rôle joué par les sites Internet, la Cour considère qu'elle relève du champ d'application de l'article 10" (§ 27). En outre, la Cour avait relevé que :"la mise à disposition d'archives sur Internet contribue grandement à la préservation et à l'accessibilité de l'actualité et des informations. Les archives en question constituent une source précieuse pour l'enseignement et les recherches historiques, notamment en qu'elles sont immédiatement accessibles au public et généralement gratuites" (§ 45). La Cour avait estimé en conséquence que :"si la presse a pour fonction première de jouer le rôle de « chien de garde » dans une société démocratique, la fonction accessoire qu'elle remplit en constituant des archives à partir d'informations déjà publiées et en les mettant à la disposition du public n'est pas dénuée de valeur" (§ 45). Dans cette affaire Times Newspapers, la Cour avait jugé proportionnée l'obligation faite au Times de publier dans ses archives numériques un avis faisant état de ce que les mêmes articles parus dans la version papier du journal étaient soumis à une contestation judiciaire. La Cour s'était montrée attentive à la circonstance que les archives étaient gérées par la même société éditrice que celle à l'origine des articles parus en version papier et qu'il ne lui avait nullement été demandé de retirer les articles litigieux.

Dans les circonstances de l'affaire Wegrzynowski et Smolczewski c. Pologne, un premier jugement rendu n'avait concerné que la version imprimée des articles, à défaut pour les victimes d'avoir formulé une demande expresse concernant la présence des articles sur le site Web du journal.

La Cour a rejeté comme irrecevable la requête d'un des deux requérant dès lors qu'elle n'avait pas été introduite dans le délai de six mois après la décision définitive rendue par les juridictions internes prévu à l'article 34 de la Convention.

Sur le fond, Cour européenne a suivi les juridictions polonaises en soulignant que les articles avaient été publiés simultanément sur le site Internet du média et donc la demande ultérieure de les voir retirer des archives numériques concernait les mêmes circonstances factuelles que la première action dès lors qu'il ne s'agissait pas d'une nouvelle publication (§ 61). La Cour s'est montrée d'autant plus sévère que le site Internet du journal était bien connu du public et en particulier des avocats. Le requérant ne pouvait donc pas être surpris par la présence des articles en ligne (§ 62). Les juges de Strasbourg ont souligné que les juridictions polonaises avaient elles-mêmes admis qu'aucune autorité de chose jugée ne pouvait être opposée à une demande concernant la version numérique des articles (§ 63). Le requérant avait pu trouver une base légale interne pour fonder son action et ne pouvait donc se plaindre de l'inexistence d'un cadre légal approprié (§ 64). Enfin, la Cour européenne a fait siens les développements des juges polonais qui ont jugé qu'il n'appartenait pas aux cours et tribunaux d'ordonner le retrait de toute trace d'une publication qui aurait pu avoir été jugée diffamatoire par un juge (§ 65).

L'exclusion de la mesure de retrait semble résulter des nombreuses possibilités de contextualisation qu'offre le Web et qui rendent sans doute non nécessaire l'adoption d'une mesure d'effacement pur et simple légitimement tenue pour plus intrusive dans la liberté d'expression du journal.

Comme la Cour l'énonce clairement (§§ 66-67), le requérant aurait été mieux avisé, pour protéger sa réputation, de recourir à d'autres voies, moins intrusives pour la liberté d'expression qu'en formulant une demande de retrait. Les juges européens privilégient ouvertement l'addition plutôt que la soustraction d'informations. Un moyen idéal de protéger la réputation des requérants sans mettre à mal la liberté d'expression du journal serait de procéder à l'ajout d'une référence au jugement rendu en leur faveur et concluant au caractère diffamatoire des articles.

Par conséquent, la Cour conclut, à l'unanimité, que l'Etat polonais a satisfait à son obligation de mise en balance des droits garantis respectivement par les articles 10 et 8 de la Convention qui, comme la Cour le rappelle au passage dans son arrêt, méritent un égal respect (§ 56).

En consolidant la protection des archives numériques préalablement reconnue dans un arrêt rendu sur le terrain de l'article 10, la Cour démontre que sa position dans la délicate mise en balance des droits concurremment protégés par la Convention ne varie pas, et c'est heureux, selon la disposition de la Convention invoquée par le requérant (article 10 ou 8).

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Rédigé par Quentin Van Enis

Publié dans #News

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